- BOUDDHISME - Représentations du Buddha
- BOUDDHISME - Représentations du BuddhaLe Buddha a vécu au VIe siècle avant notre ère, mais il n’est représenté dans l’Inde du Nord (région de Mathur ) et du Nord-Ouest (G ndh ra) qu’aux environs de notre ère. Sur les premiers monuments bouddhiques illustrés (balustrade de Bh rhut, milieu du IIe siècle avant notre ère), il n’est en effet figuré que par un jeu de symboles et de conventions. L’apparition de ses images est liée en particulier à une évolution des idées sur sa personne et à un renouvellement du culte dont il est l’objet. Celles-ci se veulent les portraits d’un personnage historique qui est à la fois le meilleur des moines et un être surhumain; une iconographie codifiée leur permet de traduire ses vertus et ses pouvoirs par le biais de la commémoration des grands épisodes de sa vie. Très homogène à travers tout le bouddhisme, en dépit de la variété des partis esthétiques et de certaines nuances d’écoles, l’image du Buddha historique est également celle de tous les Buddha qui l’ont précédé ou qui règnent dans les multiples mondes du cosmos bouddhique.Pourquoi une image du Buddha?L’absence d’images du Buddha dans le premier art bouddhique a fait penser à l’existence d’un interdit doctrinal, qui aurait disparu par la suite, mais cet interdit n’est connu que par une allusion dans un seul texte ancien. Il est possible, en revanche, qu’il ait paru difficile de figurer un être dont le canon le plus ancien nous dit qu’il «ne peut être comparé à rien» et qu’«aucun concept ne peut exprimer sa nature»; pouvait-on représenter in corpore celui qui par le nirv ユa s’était, littéralement, anéanti du monde (pour certains textes anciens, la Loi bouddhique s’est substituée au corps du Buddha après le nirv ユa)? D’ailleurs était-il nécessaire au début du bouddhisme de figurer le Buddha? Rien n’est moins sûr. En effet, le bouddhisme ancien enseigne que seule l’action personnelle, plus particulièrement l’ascèse, peut mener à la libération par un détachement complet. Le Buddha lui-même est un personnage «vénérable» qui a su se détacher du monde et qui, par compassion, a transmis sa méthode personnelle aux hommes; c’est un maître (guru ) qui n’a rien d’un dieu qui accorderait la libération à ses fidèles, ni même d’un intercesseur qui agirait à leur profit. La vénération posthume dont il est alors l’objet est surtout une commémoration de la vie du maître qu’il a été; elle se manifeste par un culte envers les «témoins» de cette vie: ainsi l’arbre de l’Éveil, les st pa entre lesquels ont été réparties ses reliques et, d’une façon plus générale, tous les lieux où il a porté ses pas et où se sont déroulés les épisodes majeurs de son existence. Ce culte se compose, comme tout culte indien quel qu’en soit l’objet, d’une succession d’actes de révérence (upac ra ) analogues à ceux que l’on accomplit pour honorer un maître de son vivant (circumambulation, prosternation, offrandes de fleurs, de nourriture, etc.). Il va connaître un succès considérable en raison de l’extension de la communauté laïque et de la banalisation du bouddhisme qui l’accompagne: il permet en effet à la masse des fidèles de retrouver dans le bouddhisme les pratiques courantes de la religiosité populaire indienne (culte des arbres, des divinités agrestes, des génies des lieux), comme elle retrouve dans les récits édifiants des vies antérieures du Buddha (j taka ) des contes familiers. Par un processus très humain, avant même peut-être toute évolution doctrinale importante vers la divinisation du Buddha, les «témoins» ont été plus ou moins confondus avec le maître austère dont ils commémoraient la vie, en d’autres termes ils en sont devenus des symboles. La reproduction de ces symboles, multipliés et normalisés, marque le premier stade de l’iconographie du Buddha, paradoxal puisque sans image de l’infigurable. Mise en œuvre à Bh rhut (milieu du IIe siècle avant notre ère), cette iconographie se développe à Bodhgay puis à S ñc 稜 (aux environs de notre ère) et atteint son sommet beaucoup plus tard à Amar vat 稜 (IIe siècle de notre ère), alors que l’Inde du Nord multiplie déjà les images du Buddha. Quelquefois employés seuls, les symboles y sont plus souvent mis en scène dans des compositions parfois très riches.Les facteurs qui vont permettre de passer de ces figurations symboliques à l’image du Buddha sont multiples. Il y a tout d’abord la mutation considérable subie par la pensée religieuse dans les siècles qui précèdent notre ère; elle est désormais marquée par la dévotion (bhakti ) qui se traduit par le besoin d’un contact personnel et en quelque sorte matériel avec les grands dieux et qui aboutit, vers le IIIe siècle avant notre ère, à un culte rendu à des images divines dans des temples. Dans le bouddhisme lui-même, l’évolution qui aboutit au Mah y na est considérable à la veille du début de notre ère. Elle se manifeste – entre autres choses – par un intérêt particulier porté à la personne du Buddha à la fois humanisé et magnifié; par le biais du transfert des mérites, le maître austère devient un intercesseur généreux auquel les «gens ordinaires» (p リthagjana ) peuvent s’adresser pour accéder à la libération. Dans le domaine spéculatif, la notion de base du Mah y na, selon laquelle tout n’est qu’apparence, rend possible la figuration de l’apparence qu’a été le Buddha: l’image qui en résulte est aussi irréelle que le Buddha mais elle fournit un moyen de méditation et donc de libération (dans la mesure, évidemment, où elle est considérée comme un expédient et non comme une réalité profonde). L’idée de représenter le Buddha apparaît ainsi comme le fruit de la conjonction de deux courants: un courant laïc, traduction d’un mouvement de fond de la religiosité indienne, pousse à la multiplication des manifestations cultuelles et des supports de culte et se contente difficilement des représentations symboliques avec lesquelles il est difficile de «converser»; simultanément, un courant spéculatif tend à élargir l’austère faisceau de techniques qu’était le bouddhisme ancien en une doctrine spirituelle élaborée et beaucoup plus généreuse. Il faut remarquer cependant que, si le Mah y na a été le mouvement moteur dans la définition d’une doctrine de l’image, il a été suivi par les tenants du bouddhisme ancien, dont les réserves ont plus porté sur la finalité du culte des images que sur sa pratique.Les traits du BuddhaAux environs du début de notre ère, l’environnement religieux est favorable à l’idée de figurer le Buddha sous une forme «manifeste», le contexte artistique l’est également. L’imagerie bouddhique qui s’est développée, surtout à Bh rhut et ailleurs, a élaboré un premier répertoire de compositions dans lesquelles peut s’insérer l’image du Buddha. Dans le domaine non bouddhique, les représentations des dieux majeurs sont apparues dès le IIe siècle avant notre ère. Ce premier répertoire divin comprend aussi des images en relief ou en ronde bosse de yak ルa ; ces divinités sylvestres ou agrestes, figurées debout, hiératiques, au corps bien bâti et de grande taille, semblent avoir été les modèles plastiques sur lesquels ont été initialement appliqués les traits qui traduisent la personnalité du Buddha. Ceux-ci soulignent trois constantes de son iconographie: c’est un homme et un personnage historique, un moine et enfin un être qui sort de l’ordinaire.Le Buddha est dès le départ figuré sous une forme parfaitement anthropomorphe, à quelques détails près sur lesquels on reviendra; ce choix est définitif et concerne aussi bien le Buddha historique que tous les Buddha mythiques figurés à son image, ceux qui l’ont précédé comme les innombrables Buddha du Mah y na. Mais cet homme a vécu sur terre et, au moment où l’on songe à le représenter, les témoins oculaires de sa vie ont disparu, ce qui pose le problème de la véracité de ses images et de leur valeur comme portraits fidèles du maître; véracité indispensable car, comme le dit un texte ancien du Grand Véhicule, l’image du Buddha est une représentation du Buddha par ceux qui l’ont vu pour faire acquérir des mérites à ceux qui la révèrent. On ne sait si la question a été soulevée de prime abord, en tout cas elle l’a été (sans doute à l’occasion de controverses sur le culte des images) et elle a été résolue par l’appel à des récits légendaires faisant remonter les «portraits» authentiques du Buddha à un original exécuté de son vivant et «approuvé» par lui. Ces récits divers reviennent tous au thème d’un portrait exécuté à la demande d’un roi, fidèle du Buddha, à l’occasion d’une absence de ce dernier. La tradition semble avoir été très vivante dans le bouddhisme chinois: au VIIe siècle, le pèlerin Hiuan Tsang aurait ramené en Chine une copie de la statue confectionnée à cette occasion, et une statue conservée actuellement dans le temple de Feiryo-ji à Ky 拏to serait une copie chinoise (exécutée en 987) de celle ramenée par Hiuan Tsang.Un moine bouddhique (bhik ルu ) se reconnaît à son vêtement, au fait qu’il ne porte ni bijoux ni parures et enfin à son crâne rasé. En ce qui concerne le Buddha, on constate qu’il porte pratiquement toujours le vêtement monastique, qu’il est le plus souvent dépourvu de tout bijou et, enfin, qu’il n’a jamais le crâne rasé. Le vêtement monastique est celui (en trois éléments) que le Buddha lui-même a fixé; les variantes que présentent les images du Buddha correspondent surtout à des modes régionales (ainsi le manteau porté plié sur l’épaule en Asie du Sud-Est à partir du XIIIe siècle) ou à des conventions esthétiques propres aux différentes écoles artistiques (rendu du drapé). Le Buddha a abandonné ses parures lorsqu’il a quitté la vie mondaine; la seule trace en est normalement des lobes d’oreilles démesurément étirés par le poids des ornements qui y étaient accrochés avant le Grand Départ. La tradition est généralement suivie, mais il existe cependant en Afghanistan, en Inde orientale et surtout en Asie du Sud-Est des images du Buddha «paré» d’ornements de tête, parfois de bracelets, de brassards ou de ceintures; elles traduisent l’assimilation très ancienne du Buddha à un monarque universel (cakravartin ) et relèvent à l’origine du Mah y na. On les retrouve cependant en Asie du Sud-Est, dans le Petit Véhicule, où la parure s’étend souvent au vêtement, traité en costume d’apparat. L’opposition est totale entre le crâne rasé prescrit aux moines et la coiffure du Buddha: celui-ci est toujours en cheveux (bouclés ou tirés en arrière selon les écoles); qui plus est, il a au sommet du crâne un chignon ou une protubérance crânienne couverte de cheveux, l’u ルユ 稜 ルa . Ajoutons que dans la plupart des cas il se distingue aussi des autres moines par une sorte de touffe de poils sur le front, l’ r ユ . L’un et l’autre de ces éléments iconographiques traduisent l’appartenance du Buddha à la catégorie des êtres extraordinaires ou plus exactement des «grands hommes» (mah puru ルa ). Ces derniers, selon une notion bien antérieure au bouddhisme, se reconnaissent à des «marques», trente-deux selon les écritures bouddhiques. Seules quatre ou cinq d’entre elles (dont l’u ルユ 稜 ルa et l’ r ユ ) sont traduites sur les images dont elles viennent en quelque sorte tempérer l’humanité, plaçant ainsi le Buddha à part, au-dessus des autres hommes, même les plus éminents. D’autres éléments peuvent agir dans le même sens: ainsi le nimbe ou la mandorle, plus rare (emprunt à l’Occident?). Sur les bas-reliefs narratifs, enfin, le caractère surhumain du Buddha est souvent souligné par sa taille, dépassant largement celle des autres personnages.Codification de l’image du BuddhaFixés très tôt, les traits généraux du Buddha ont peu varié dans le temps ou dans l’espace. Le portrait qu’ils permettent d’obtenir est mis en situation de deux façons différentes mais qui relèvent toujours, à un degré ou à un autre, de l’iconographie narrative: l’une concerne les scènes surtout destinées à l’édification des fidèles, l’autre les images isolées, particulièrement aptes à servir d’objets de culte. Dans le premier cas, le portrait, remplaçant ou complétant le symbole aniconique, est intégré à la composition et traité de façon à donner au Buddha l’attitude,l’expression et les gestes convenant à son rôle d’«acteur» dans l’épisode choisi. Dans le second cas, les éléments extérieurs de la mise en scène (cadre, personnages secondaires, etc.) étant éliminés, l’effort de représentation se concentre sur le Buddha dont les traits généraux sont complétés par les signes caractéristiques de l’épisode dont il est l’acteur. L’identification de l’épisode nécessite une codification des signes dont les plus importants, dans le cas du Buddha, sont les gestes (mudr ), mais qui concerne aussi la station (debout, assise ou couchée), l’attitude, les attributs (rares dans le cas du Buddha), l’expression ou des «accessoires» tels que sièges ou piédestaux. Ce code combine des éléments typiquement bouddhiques (comme le geste de la prise de la Terre à témoin qui traduit l’Assaut de M ra) à d’autres que l’on retrouve dans l’iconographie de tous les dieux indiens (les gestes de l’apaisement ou du don par exemple), sans qu’il soit possible de savoir dans quel sens s’est fait l’emprunt. Il a fallu plusieurs siècles pour qu’il soit fixé avec une certaine rigueur qui ne descend pas toujours au stade de la précision anecdotique: ainsi le geste du don indique simplement que le Buddha est figuré recevant une offrande, celui de la prédication ne se réfère pas uniquement au «premier sermon», etc. L’usage de ce code est dans l’ensemble universel à travers le monde bouddhique (qu’il s’agisse d’images isolées ou de scènes), mais certaines écoles ont ajouté des signes de leur cru ou modifié l’application de certains: ainsi le geste des bras croisés sur la poitrine, spécifique (mais avec des significations différentes) à Sri Lanka et à la Thaïlande, ou l’attitude «marchante» inventée par les imagiers thaï du XIVe siècle; quant à la station couchée, qui normalement est employée exclusivement pour les images du Buddha en nirv ユa (qu’elle suffit à identifier), elle est également, en Thaïlande, celle du Buddha recevant la visite d’Indra et de son harpiste.La multiplication des BuddhaLe bouddhisme ancien attribue au Buddha historique sept ou vingt-quatre prédécesseurs; leurs biographies sont des calques rigoureux de la sienne à un ou deux détails près, dont l’essence de l’arbre sous lequel chacun d’eux a connu l’Éveil. C’est la représentation de cet arbre qui est utilisée, si nécessaire, comme signe d’identification de leurs images; celles-ci, rares (sauf dans le cas de D 稜pa face="EU Updot" 臘k ra), sont pour le reste des reproductions fidèles de celle du Buddha historique. Le Mah y na combine cette série historique avec une multiplication «géographique»: le cosmos est considéré comme la juxtaposition d’un nombre infini d’univers ayant chacun leur Buddha (ou plus exactement leur lignée de Buddha). La mise en ordre de cette nébuleuse aboutit à une organisation hiérarchisée et orientée, dominée par cinq Buddha (appelés souvent Buddha de méditation, dhy nibuddha ) qui sont les seuls à avoir une certaine personnalité iconographique; figurés sous les traits du Buddha historique, ils se distinguent les uns des autres par un geste qui lui est emprunté et qui symbolise à chaque fois un aspect de son action; ainsi Amit bha (alias Amit yus ou Amida), Buddha de l’Ouest, fait le geste de la méditation, Ak ルobhya celui de la prise de la Terre à témoin, etc. Lorsque tout contexte explicatif fait défaut, il n’est pas toujours facile de déterminer si une image figure un de ces Buddha cosmiques ou plus simplement le Buddha historique.
Encyclopédie Universelle. 2012.